PHÉNOMÈNES OCCULTES (4/4)
« CHER MONSIEUR. Profitant de mes premiers instants
de loisir pour répondre à votre lettre du 17 courant, je vous rends
compte du résultat de ma conférence avec nos chefs au sujet de la
proposition que vous faites et je vais, en même temps, essayer de répondre
à toutes vos questions.
Je vous remercie d'abord, au nom de toute la section de notre
fraternité qui s'intéresse spécialement à la prospérité
de l'Inde, d'une offre dont l'importance et la sincérité ne font
pas de doute. Faisant remonter notre origine à travers les vicissitudes
de la civilisation hindoue jusqu'au plus lointain passé, nous ressentons
pour notre mère-patrie un
amour si profond et si passionné qu'il
a même survécu à l'effet élargissant et cosmopolisant
(pardon si le mot n'est pas correct) de nos études sur les lois de la nature.
J'éprouve, ainsi que tout
patriote indien, la plus forte reconnaissance
pour toute parole ou acte généreux en faveur de notre patrie.
Imaginez alors que, étant donné que nous sommes
tous convaincus que la dégradation de l'Inde est due surtout à l'inertie
étouffant son ancienne spiritualité et qu'il n'y a d'autre moyen
de relever cet
idéal de pensée et de moralité que par une
force nationale régénératrice, chacun de nous, naturellement
et sans être stimulé, serait disposé à pousser en avant
la société dont on discute la formation si, en vérité,
elle veut se préserver du moindre motif égoïste et se vouer
à faire revivre l'antique science et à réhabiliter notre
patrie aux yeux du monde. Soyez-en assuré sans autre affirmation. Mais,
connaissant l'
histoire, vous savez que les
patriotes broient en vain leur cur
si les circonstances sont contre eux. Et parfois nul pouvoir humain, pas même
la violence et la
force du plus grandiose
patriotisme n'ont pu faire dévier,
de sa course fixe, une destinée de fer ; et des nations ont disparu comme
des torches jetées à l'
eau, dans les écrasantes ténèbres
de la ruine. Ainsi nous, qui avons le sentiment de la décadence de notre
pays sans avoir la puissance de le relever tout à coup, ne pouvons-nous
pas faire ce que nous voudrions dans ce cas particulier et dans les affaires générales.
Nous n'avons pas le droit, malgré notre extrême bonne volonté,
d'aller plus qu'à mi-chemin au-devant de vos offres et nous sommes obligés
de dire que le projet conçu par vous et Mr Sinnett est en partie impraticable.
Bref, il est impossible que moi ou un autre
Frère, ou même un
néophyte
avancé, soit spécialement désigné et mis à
part pour être le chef ou
esprit guide de la branche anglo-indienne.
Nous savons qu'il serait bon de vous instruire régulièrement avec
un petit nombre de vos
collègues, de vous montrer les phénomènes
et les principes de leur production. Car, bien que ce petit groupe seul ait chance
d'être convaincu, ce serait un gain positif que d'avoir quelques Anglais
de haute capacité sur la liste des étudiants de la Psychologie asiatique.
Nous savons tout cela et beaucoup plus ; ainsi nous ne refusons pas de correspondre
avec vous et de vous aider de diverses façons. Mais nous refusons de prendre
sur nous aucune autre responsabilité que cette correspondance périodique
; nous pourrons vous assister de nos avis et vous donner, dans les occasions favorables,
telles preuves visibles, tangibles, qui vous affirmeront notre présence
et notre intérêt. Nous ne consentons pas à vous
guider.
Quoi que nous puissions faire, nous vous promettons seulement de vous accorder
pleine mesure d'après vos mérites. Méritez beaucoup, nous
serons d'honnêtes débiteurs ; méritez peu, et vous n'aurez
à attendre qu'une compensation proportionnée. Ceci n'est pas le
texte banal d'un cahier d'écolier, mais seulement un énoncé
incomplet de la Loi de notre ordre. Nous ne pouvons pas la transgresser. N'étant
pas familiers avec les manières de penser et d'agir des Occidentaux, des
Anglais spécialement, si nous nous mêlions d'une organisation de
ce genre, vos habitudes et vos traditions seraient continuellement heurtées,
sinon par les nouvelles aspirations elles-mêmes, tout au moins par les moyens
de les réaliser tels qu'ils seraient suggérés par nous. Vous
n'obtiendriez pas le consentement unanime de vos
collègues pour vous suivre
même jusqu'où vous, personnellement, pourriez aller. J'ai demandé
à Mr Sinnett de tracer un plan d'après vos idées mutuelles
pour le soumettre à nos chefs, ce qui est la voie la plus courte pour arriver
à s'entendre. Sous notre
direction votre branche ne vivrait pas,
vous n'êtes pas du tout des hommes à être guidés de
cette façon. La Société née ainsi prématurément
ne serait pas viable. Vous nous demandez de vous enseigner la vraie science :
l'aspect
occulte de la Nature et vous pensez que cela peut être fait
aussi facilement que vous le demandez. Vous ne paraissez pas avoir la notion des
terribles difficultés à surmonter pour communiquer les seuls rudiments
de
notre science à ceux qui ont suivi vos méthodes usuelles.
Vous ne voyez pas que plus vous êtes imprégné des unes, moins
vous êtes apte à comprendre instinctivement les autres ; car un homme
ne peut penser qu'en suivant ses vieilles ornières et, à moins d'avoir
le courage de les combler et de se frayer une nouvelle voie il devra continuer
à suivre les chemins battus. Permettez-moi quelques exemples. En conformité
avec la science exacte, vous définissez une seule énergie cosmique
et ne voyez aucune différence entre l'énergie dépensée
par le voyageur écartant la broussaille qui obstrue sa marche et le savant
expérimentateur qui dépense une égale quantité d'énergie
en mettant un pendule en mouvement. Nous faisons cette distinction, car nous savons,
au contraire, qu'il y a un monde de différence entre les deux. L'un dissipe
et éparpille inutilement une
force, l'autre la concentre et la garde. Et
ici comprenez, s'il-vous-plaît, que je ne m'occupe pas, comme on pourrait
le croire, de l'utilité relative des deux actes, mais seulement du fait
que l'un jette au dehors une
force brute, sans la transmuter en la forme potentielle
supérieure de dynamique spirituelle, ce que l'autre fait. Ne considérez
pas, je vous prie, ce que j'écris comme vaguement métaphysique.
L'idée que je désire inculquer est que le résultat de l'intellectualité
la plus élevée dans le cerveau scientifiquement occupé est
l'évolution d'une forme sublimée d'énergie spirituelle qui,
dans l'action cosmique, produit des conséquences illimitées ; tandis
que le cerveau qui agit automatiquement, retient et conserve seulement en lui
une certaine quantité de
force brute improductive pour l'individu ou l'humanité.
Le cerveau humain EST UN INÉPUISABLE GÉNÉRATEUR COSMIQUE
DE LA PLUS SUBTILE QUALITÉ, extraite de la basse énergie brutale
de la nature, et l'
Adepte complet s'est fait lui-même un centre d'où
irradient des potentialités qui engendrent corrélations sur corrélations
à travers les Eons de temps à venir. C'est la
clé du mystère
qui lui permet de projeter
dans le monde visible et d'y matérialiser
les formes que son imagination a construites dans le monde invisible au moyen
de la matière cosmique inerte. L'
Adepte ne crée rien de neuf, mais
utilise et manipule seulement les matériaux que la Nature tient en réserve
autour de lui ; matériaux qui, à travers les éternités,
ont passé par toutes les formes. Il n'a qu'à choisir celle dont
il a besoin et à la rappeler à l'existence objective. Ceci ne semblerait-il
pas à un de vos
savants biologistes le rêve d'un fou ?
Il est peu de branches de science avec lesquelles vous ne
soyez plus ou moins familiarisé, dites-vous, et vous croyez que par la
position acquise au prix de longues années d'étude vous faites quelque
bien ; sans nul doute, mais permettez-moi de vous esquisser plus clairement la
différence qui existe entre les méthodes des sciences physiques
(souvent nommées exactes par simple compliment) et la science métaphysique
; cette dernière, vous le savez, ne pouvant être soumise à
des procédés de vérification devant des auditoires populaires,
est classée par M. Tyndall au rang des fictions poétiques. La science
réaliste
du fait est d'un autre côté absolument prosaïque. Maintenant, pour nous, pauvres
philanthropes inconnus, les faits de l'une ou de l'autre de ces sciences ne nous intéressent qu'au prorata de leurs potentialités en résultats moraux et de leur utilité pour l'humanité. Et qu'y a-t-il de plus complètement indifférent à tout et à tous que cette science matérialiste du fait, attachée, dans son orgueilleux isolement, à la seule et égoïste poursuite de son
propre succès.
Puis-je alors demander... ce que les lois de Faraday, Tyndall
et autres ont à faire avec la
philanthropie dans leurs relations avec l'humanité
envisagée comme un ensemble intelligent ? En quoi se soucient-elles de
l'Homme, atome isolé dans ce grand ensemble harmonieux, même quand
elles lui sont parfois d'une utilité pratique ? L'énergie cosmique
est éternelle et incessante, la matière est indestructible : là
s'arrêtent les faits scientifiques. Mettez-les en doute, vous êtes
un
ignorant ; niez-les : un lunatique dangereux, un bigot ; émettez la
prétention de perfectionner les théories, vous devenez un impertinent
charlatan ! Et cependant ces faits scientifiques, eux-mêmes, n'ont jamais
suggéré à ce monde d'expérimentateurs que la Nature
préfère consciemment que la matière soit indestructible,
sous des formes organiques plutôt qu'inorganiques, et qu'elle travaille
lentement, sans cesse, à la réalisation de cet objet : l'évolution
de la vie consciente, hors de la matière inerte. De là, leur
ignorance
sur la dispersion ou la concentration de l'énergie cosmique sous ses aspects
métaphysiques, leur
division à propos des théories de Darwin,
leur incertitude sur les degrés de vie consciente dans les
éléments
séparés et, conséquence nécessaire, leur mépris
systématique rejetant les phénomènes qui échappent
aux conditions qu'ils ont posées et même l'idée que des mondes
de
forces semi-intelligentes,
sinon intellectuelles, sont à l'uvre
dans les replis cachés de la Nature ! Voici un autre exemple pratique.
Nous voyons une grande différence entre les deux qualités de deux
quantités égales d'énergie dispensées par deux hommes,
dont l'un, supposons-le, s'en va faire tranquillement son travail quotidien, et
l'autre se dirige vers le poste de police pour dénoncer un de ses concitoyens.
Les hommes de science n'en voient aucune. Et nous, pas eux, voyons une différence
spécifique entre le mouvement du vent et celui d'une roue et pourquoi ?
Parce que chaque pensée émise par l'homme passe dans le monde intérieur
et devient une entité active en s'associant, en adhérant, pourrions-nous
dire, à un élémental, c'est-à-dire à une de
ces
forces semi-intelligentes des domaines invisibles. Elle survit comme une active
intelligence, créature engendrée par l'
esprit, pendant une période
plus ou moins longue, proportionnée à l'intensité première
de l'action cérébrale qui l'a éveillée.
Ainsi, une bonne pensée est perpétuée
comme un pouvoir bienveillant et actif, une mauvaise comme un malfaisant démon.
Et ainsi, l'homme peuple continuellement son courant dans l'espace, d'un monde
à lui, où se pressent les rejetons de ses rêveries, désirs,
impulsions, passions ; un courant qui réagit, sur toute organisation sensitive
ou nerveuse qui se trouve en contact avec lui, à proportion de son intensité
dynamique. Les Bouddhistes appellent ceci son
Skandha, les Hindous le nomment
Karma. L'
Adepte évolue consciemment ces formes ; les autres hommes
les rejettent inconsciemment. L'
Adepte, pour arriver au but et conserver son pouvoir,
doit vivre solitaire et plus ou moins concentré en son
âme. La science
exacte ne s'aperçoit pas davantage que la fourmi travailleuse, l'active
abeille, l'
oiseau faisant son nid accumulent chacun, par leur humble travail,
autant d'énergie cosmique dans sa forme potentielle qu'un Haydn ou un Platon
ou un laboureur traçant son sillon par le leur. Le chasseur qui tue du
gibier pour son plaisir ou son profit, le positiviste qui applique son intelligence
à prouver que + X + = dépensent et dispersent leur énergie
autant que le tigre s'élançant sur sa proie. Ils volent tous la
Nature au lieu de l'enrichir, et en seront responsables, selon le degré
de leur intelligence.
La science expérimentale exacte n'a rien à
faire avec la moralité, la vertu, la
philanthropie. Elle ne peut donc réclamer
notre aide qu'en s'alliant à la métaphysique. N'étant qu'une
froide classification de faits extérieurs à l'homme, existant avant
et après lui, son champ d'utilité est restreint pour nous à
la limite de ces faits ; elle se préoccupe peu des conclusions et des résultats
que l'humanité pourrait tirer des matériaux acquis par ses méthodes.
En conséquence, comme notre
sphère s'étend entièrement
en dehors de la sienne, de même que le chemin d'Uranus est en dehors de
celui de la
Terre, nous refusons catégoriquement de nous laisser rompre
sur une des roues qu'elle fabrique. A ses yeux, la
chaleur n'est qu'un mode de
mouvement, et le mouvement produit la
chaleur, mais elle en est encore à
découvrir pourquoi le mouvement mécanique rotatoire de la roue serait
métaphysiquement d'une plus haute valeur que la
chaleur en laquelle il
se transforme par degrés. Les hommes de science ne peuvent concevoir cette
notion philosophique transcendante (absurde par conséquent) des Théosophes
du
Moyen-Age, à savoir : que le progrès final du labeur humain,
grâce aux incessantes découvertes de l'homme, doit aboutir un
jour
à un procédé qui, imitant l'énergie du
Soleil considéré
comme un moteur direct extraira des aliments nourrissants de la matière
inorganique. Si demain le
soleil, ce père, ce grand nourricier de notre
système planétaire, faisait éclore des poussins de granit
hors d'une masse rocheuse,
dans des conditions irréfragables d'observation,
les hommes de science accepteraient le fait scientifique, sans se donner la peine
de regretter que les poulets ne soient pas vivants pour nourrir les pauvres et
les affamés. Mais qu'un
Shaberon traverse les Himalayas en temps
de disette, et multiplie les sacs de riz pour soulager les multitudes mourantes
et il le pourrait vos magistrats et collecteurs le logeraient, sans
doute, en prison pour lui faire confesser où se trouve le grenier qu'il
a dévalisé. Voilà la science exacte et votre monde réaliste.
Quoique, comme vous le dites, vous soyez impressionné, par la vaste étendue
de l'
ignorance du monde sur tous les sujets,
ignorance que vous décrivez
avec pertinence comme « un petit nombre de faits palpables, rassemblés
et grossièrement généralisés et un jargon technique
inventé pour dissimuler l'
ignorance de l'homme sur tout ce qui se trouve
derrière ces faits », et quoique vous parliez de votre foi dans les
possibilités infinies de la Nature, vous êtes cependant satisfait
de dépenser votre vie dans des travaux qui servent seulement cette même
science exacte...
Parmi vos questions, nous choisirons d'abord, s'il vous plaît,
pour la discuter, celle qui se rapporte au prétendu échec de la
Fraternité « ne laissant aucune trace dans l'
histoire du monde
». Les
Adeptes, pensez-vous, auraient dû, de par leurs privilèges
extraordinaires, « réunir dans leurs écoles un nombre considérable
des
esprits d'élite de chaque race ». Comment savez-vous qu'ils n'ont
pas laissé une telle marque ? Connaissez-vous le détail de leurs
efforts, triomphes ou défaites ? Avez-vous un banc des prévenus
pour les y traduire en justice ? Comment votre monde pourrait-il rassembler les
preuves touchant aux faits et gestes d'hommes ayant
fermé avec persévérance
toutes les voies d'approche qui auraient permis aux curieux de les espionner ?
La première condition de leur succès était d'éviter
toute inspection et obstruction.
Ce qu'ils ont fait, ils le savent ; tout ce que pouvaient
apercevoir ceux du dehors, étaient des résultats dont les causes
restaient cachées. Pour expliquer ces résultats, les hommes ont,
à différentes époques, inventé des théories
sur l'intervention de
dieux, de providences spéciales, de destins, d'
influence
bénéfique ou hostile des astres. Il n'y a jamais eu un temps, avant
ou pendant ce qu'on nomme la période historique, où nos prédécesseurs n'aient pas été occupés à diriger les événements, à
faire l'histoire, dont les faits ont été ensuite invariablement défigurés par les
historiens pour flatter les préjugés
régnants autour d'eux. Etes-vous certain que les figures héroïques,
qui ont paru dans les drames successifs, n'aient pas été souvent
autre chose que leurs marionnettes ? Nous n'avons jamais prétendu au pouvoir
d'entraîner les nations, en masse, dans telle ou telle crise, à l'encontre
de la direction générale des relations cosmiques du monde. Les cycles
doivent suivre leurs rondes. Des périodes de lumière ou d'obscurité
mentale et morale se succèdent comme le
jour à la nuit.
Les
Yougas (9), majeurs et mineurs, doivent s'accomplir selon l'ordre établi des choses. Et nous, emportés par l'irrésistible marée, pouvons seulement modifier et diriger quelques-uns de ses moindres
courants. Si nous avions la puissance attribuée au fictif
Dieu personnel
et que, si les lois universelles et
immuables n'étaient que des jouets,
il nous serait alors possible de créer des conditions qui transformeraient
la terre en une
Arcadie peuplée d'
âmes sublimes. Mais en face d'une
inflexible loi, dont nous sommes nous-mêmes les créatures, nous avons
à faire ce que nous pouvons et à demeurer reconnaissants. Il y eut des périodes où des
esprits éclairés, en nombre
considérable ont été enseignés dans nos écoles. Cela s'est vu dans l'Inde, en Perse, en Egypte, en Grèce, à Rome. Mais, comme je l'ai remarqué dans une lettre à M. Sinnett, l'
Adepte est l'efflorescence de son époque et il en parait relativement peu en l'espace d'un siècle. La terre est le champ de bataille des
forces morales et physiques ; et le bruyant tumulte de la passion animale, stimulée par les grossières énergies du groupe le
plus inférieur des
agents éthériques, tend toujours à étouffer la spiritualité. Peut-on attendre autre chose d'hommes si rapprochés encore des basses
sphères d'où ils viennent d'évoluer ? Il est vrai aussi, qu'en ce moment, notre nombre diminue, parce que, je l'ai déjà dit, nous sommes de la race humaine, soumis à
son impulsion cyclique et impuissants à la faire revenir sur
elle-même. Pouvez-vous forcer le Gange ou le Bramapoutre à
remonter vers leurs sources ? Pouvezvous même les endiguer assez
pour que leurs
eaux montantes ne débordent pas sur les rives ?
Non, mais vous pouvez attirer une partie du courant dans des canaux,
où sa
force hydraulique sera utilisée au bénéfice de l'humanité. Ainsi nous, qui ne pouvons empêcher le monde de suivre la direction préordonnée, sommes cependant capables de diriger
quelques-unes de ses énergies dans des canaux utiles. Mon
explication ne vous satisfera pas, si vous nous considérez comme
des demidieux ; regardez-nous comme de simples hommes peut-être
un peu plus sages à cause de nos études spéciales et cela répondra à votre objection.
« Quel bien », dites-vous, « retirerons-nous,
mes
compagnons et moi (les deux sont inséparables), de ces
sciences occultes
? Quand les indigènes verront que des Anglais et même de hauts personnages
de l'Inde s'intéressent à leur science et à leur philosophie
ancestrales, ils se livreront eux-mêmes ouvertement à leur étude
; ils arriveront à reconnaître que les antiques phénomènes
divins ne sont pas des miracles, mais des opérations scientifiques,
et la superstition diminuera. Ainsi le pire des maux, qui oppresse la civilisation
hindoue et retarde son réveil, disparaîtra à la longue. La
tendance actuelle de l'éducation est de rendre les Indiens matérialistes
et de détruire en eux la spiritualité. S'ils comprenaient mieux
la signification des écrits et des enseignements de leurs ancêtres,
l'instruction deviendrait un bienfait et non une malédiction, comme elle
l'est trop souvent. Aujourd'hui,
ignorants ou instruits, les indigènes
croient les Anglais trop prévenus contre eux à cause de leur
religion chrétienne et de leur science moderne pour se soucier de
comprendre et leur caractère et leurs traditions ; ils se haïssent
mutuellement et se méfient les uns des autres. Un changement d'attitude
vis-à-vis de l'antique philosophie influencerait les princes hindous et
les hommes opulents ; les amènerait à doter des écoles normales
pour former des pandits ; et des manuscrits, jusqu'ici ensevelis hors de l'atteinte
des
Européens, reparaîtraient à la lumière et avec
eux la
clef de beaucoup de choses, qui sont cachées depuis des âges
au populaire, choses que vos
Sanscritistes sceptiques ne daignent pas,
que vos missionnaires
religieux n'
osent pas comprendre.
La science a cependant beaucoup et l'humanité tout
à y gagner. Sous l'impulsion de la Société
Théosophique
anglo-indienne, nous pourrions, avec le temps, voir naître un nouvel âge
d'or pour la littérature sanscrite...
Regardons du côté de Ceylan, nous verrons les
prêtres les plus érudits s'occupant, inspirés par la Société
Théosophique, d'une nouvelle exégèse de la philosophie bouddhiste
; le 15 septembre, à Galle, une école
théosophique séculière,
pour l'enseignement de la
jeunesse Singhalaise, s'est ouverte devant plus de trois
cents élèves ; cet exemple va être suivi sur trois autres
points de l'île. Si la Société
Théosophique telle
qu'elle est à présent constituée n'a vraiment pas
une
réelle vitalité et peut cependant faire d'une manière
bien modeste autant de bonne besogne pratique, quels résultats ne pourrait-on
attendre d'un
corps organisé d'après le plan meilleur que vous proposez
?
Les mêmes causes qui matérialisent l'
esprit
hindou affectent également la pensée occidentale. L'éducation
exalte le scepticisme mais emprisonne la spiritualité. Vous pouvez faire
un bien immense en aidant à donner aux nations occidentales une base ferme,
sur laquelle elles pourront reconstruire leur foi croulante. Et ce qu'il leur
faut, c'est l'évidence que la psychologie asiatique peut seule fournir.
Donnez cela et vous conférerez à des milliers d'êtres la paix
de l'
esprit. L'ère de la foi aveugle a cessé, celle de l'examen
lui a succédé. L'investigation, qui se borne à démasquer
l'erreur sans rien offrir de plus à l'
âme, crée les
iconoclastes.
Ceux-ci, destructeurs à outrance, ne donnent rien, mais l'homme ne peut
se contenter de pure négation. L'agnosticisme n'est qu'une halte. C'est
le moment de guider la réaction qui doit bientôt se produire et qui
poussera l'humanité à un extrême athéisme ou à
un sacerdotalisme excessif, si elle n'est dirigée vers la primitive philosophie
des Aryens, vraiment satisfaisante pour l'
âme. En
observant ce qui se passe
de nos
jours, d'une part chez les
catholiques qui cultivent les miracles comme
les termites soignent leurs larves, et de l'autre chez les libre-penseurs qui
se transforment massivement en agnostiques on voit quelle est la tendance.
Le siècle se complaît dans une
orgie de phénomènes.
Les mêmes merveilles, que les spirites citent pour s'opposer aux dogmes
de
damnation éternelle et de
rédemption, les
catholiques s'assemblent
en foule pour en être témoins, comme prouvant le bien-fondé
de leur foi aux miracles. Les sceptiques se raillent des deux partis. Tous sont
aveugles et personne ne les dirige. Vous et vos
collègues pouvez
aider à rassembler les matériaux d'une philosophie
religieuse universelle
bien nécessaire, n'offrant aucune prise aux assauts scientifiques parce
qu'elle est elle-même la fin de la science absolue ;
religion vraiment digne
du nom, puisqu'elle embrasse les relations de l'homme physique avec l'homme psychique
et de ceux-ci avec tout ce qui est au-dessus et au-dessous d'eux. Cela ne vaut-il
pas un léger sacrifice ? Si, après réflexion, vous vous décidez
à entrer dans cette nouvelle carrière, déclarez hautement
que votre Société n'est pas plus marchande de miracles que club
à banquets et ne se livre pas spécialement à l'étude
du phénoménalisme.
Son but principal doit être d'extirper
le scepticisme et les superstitions courantes et de tirer d'anciennes fontaines,
longtemps scellées, la preuve que l'homme peut former sa propre destinée
future et tenir pour certain qu'il vivra dans l'au-delà, s'il le veut seulement
; et que tous les
phénomènes ne sont que les manifestations
d'une loi naturelle qu'il est du devoir de tout être intelligent de chercher
à comprendre. »
Je n'ai pas, jusqu'à présent, parlé
des circonstances dans lesquelles ces différentes lettres me sont parvenues
; les conditions phénoménales qui ont accompagné l'arrivée
de quelques-unes d'entre elles ne sont que d'un intérêt secondaire
en comparaison de la valeur intrinsèque des idées et de la philosophie
qu'elles expriment. Mais, le moindre fait qui aide à démontrer la
nature des pouvoirs dont les
Adeptes se servent est digne d'attention, quoique
le fondement et l'exposé rationnel de tels pouvoirs soient encore cachés
au monde. Le fait de leur existence ne peut être établi que par l'accumulation
de tels témoignages, aussi longtemps qu'il ne nous sera pas permis d'en
prouver la possibilité par l'analyse
a priori des capacités
latentes dans l'homme.
L'ami auquel la dernière lettre citée était
adressée y fit une longue réponse et y ajouta ensuite une missive
additionnelle pour K. H. qu'il m'envoya. Il me pria de la lire, puis de la cacheter
et de l'expédier ou de la donner, pour la transmettre, à Mme Blavatsky
que nous attendions chez moi à Allahahad, à son retour d'Amritsur
et de Lahore, où elle était restée quelque temps après
notre départ de Simla. J'obéis au désir de mon ami et remis
la lettre à Mme Blavatsky après avoir gommé et cacheté
la forte enveloppe dans laquelle elle était envoyée. Peu d'heures
après, rentrant ce soir-là pour dîner, je trouvai que la lettre
était partie et revenue. Mme Blavatsky me dit qu'en causant avec un visiteur,
dans sa
chambre, elle griffonnait machinalement, sur sa table à écrire,
avec un crayon bleu ; soudain elle s'aperçut que le papier dont elle se
servait était ma lettre, le destinataire en avait dûment pris
possession, par ses propres moyens, une ou deux heures avant. Mme Blavatsky
avait écrit sur l'enveloppe, sous une
influence occulte les mots suivants
: « Lu et retourné avec remerciements et quelques commentaires, ouvrez
s'il-vous-plaît. » J'examinai l'enveloppe avec beaucoup de soin, elle
était absolument intacte, ses cachets très complets étant
restés tels que je les avais arrangés ; je l'ouvris et trouvai,
avec la lettre qu'elle contenait au moment de l'envoi, une épitre de K.
H. pour moi, critiquant la première à l'aide d'une suite de chiffres
au crayon se référant à certains paragraphes de la lettre
originale autre exemple du passage de la matière à travers
la matière qui, pour des milliers de gens qui en ont été
témoins, est un fait de la nature aussi réel que le lever du
soleil
; fait que j'ai non seulement constaté au cours de séances spirites
mais, ce récit le montrera, dans de nombreuses occasions où il n'y
avait pas de motif pour soupçonner une autre intervention que celle d'êtres
vivants, dont les facultés, développées par la connaissance,
peuvent produire des phénomènes. Ces facultés, nous pouvons
tous les posséder en
germe.
Les critiques sceptiques ne voulant pas tirer d'enseignement
des phénomènes que j'ai décrits et s'attachant au seul épisode
de la lettre, diront peut-être : Mme Blavatsky a eu ample loisir d'ouvrir
l'enveloppe par les moyens qu'emploient les médiums qui prétendent
obtenir des
esprits des réponses aux lettres cachetées. Mais,
1°
le télégramme de Jhelum et la correspondance qui sont de la main
de K. H., prouvent que Mme Blavatsky n'en est pas l'auteur ;
2° l'incident
ci-dessus peut être comparé à un autre cas identique, qui
se produisit bientôt après dans des circonstances différentes
: K. H. m'avait envoyé une lettre pour mon ami, je devais la lire et l'expédier
; avant de le faire et à propos du contenu de cette missive, j'écrivis
un billet à K. H., je le plaçai dans une enveloppe adhérente
ordinaire et le donnai à Mme Blatvatsky, qui le mit dans sa poche et passa
dans sa
chambre. Elle revint aussitôt son appartement ouvrait sur
le salon et dit : « Il » l'a pris de suite. Elle n'avait pas
été absente trente secondes. Elle me suivit ensuite, à travers
la maison, jusqu'à mon bureau, causa dans la pièce voisine avec
ma femme et revint dans mon cabinet pour s'étendre sur un canapé.
Je travaillais, et dix minutes environ s'écoulèrent. Tout à
coup, Mme Blavatsky se leva : « Voilà votre lettre », dit-elle
me la montrant sur le coussin où elle avait posé la tête ;
et ma lettre était là, intacte, sauf que le nom de K. H. était
effacé et remplacé par le mien. Après l'avoir bien examinée,
je coupai l'enveloppe et trouvai la réponse de K. H. au verso de mon billet
; excepté pendant les trente secondes passées chez elle et une minute
ou deux dans la
chambre de ma femme, je n'avais pas perdu de
vue Mme Blavatsky
et personne n'avait pénétré dans mon cabinet. Impossible
d'imaginer une preuve matérielle plus complète, plus absolue, du
pouvoir anormal mis en
jeu à cette occasion. A moins de déclarer
que je ne peux pas faire un récit correct, les plus sceptiques ne pourront
pas arguer sérieusement contre la
force de l'évidence. Ils n'auront
d'autre ressource qu'une ironie inepte ou de mettre en doute l'authenticité
des faits. En ce qui regarde cette dernière hypothèse, je ne puis
que donner ma parole, et je le fais, de la parfaite exactitude de
mes affirmations.
Une fois ou deux, j'ai reçu des réponses de
K. H. à mes lettres sous mes propres enveloppes restées intactes,
l'adresse étant changée et le papier de mon correspondant substitué
au mien. Dans deux ou trois cas, j'ai trouvé de courts messages de K. H.
tracés sur les blancs de lettres qui m'étaient adressées
par d'autres personnes, assurément bien loin de soupçonner les additions
faites ainsi à leurs
épîtres.
J'ai, naturellement, demandé à K. H. une explication
de ces petits phénomènes. Il m'était plus facile de poser
la question qu'à lui d'y répondre, parce que, d'une part, les
forces,
dont se servent les
Adeptes pour accomplir leurs opérations anormales,
sont d'une espèce si peu connue de la science ordinaire que nous autres
du monde extérieur ne sommes pas préparés à comprendre
les éclaircissements ; d'autre part, parce que la manipulation de ces
forces
touche quelquefois à des secrets d'
initiation qu'un occultiste ne peut
pas révéler. Cependant je reçus, en une certaine circonstance,
une légère indication à ce sujet.
« ... De plus, persuadez-vous que mes lettres ne sont
pas écrites, mais
empreintes ou
précipitées
et ensuite toutes les fautes sont corrigées. »
On peut croire que je désirais être mieux renseigné
au sujet de cette précipitation ; était-ce un procédé
qui suivait la pensée plus rapidement que ceux qui nous sont familiers
? Et quant aux lettres reçues, leur signification pénétrait-elle
tout à coup l'entendement du destinataire
occulte, ou étaient-elles
lues selon le mode ordinaire ?
« Certainement je lis ce que vous écrivez »,
répliqua K. H., « sans cela je ferais un beau gâchis. Que ce
soit au moyen de mes yeux physiques ou spirituels, le temps nécessaire
est pratiquement le même. Je puis en dire autant de mes réponses,
car soit que je les précipite, soit que je les dicte ou les écrive
moi-même, la différence est très minime. J'ai à penser,
à photographier soigneusement chaque mot et chaque phrase dans mon cerveau
avant qu'ils puissent être reproduits par la
précipitation.
Pour
fixer sur des plaques préparées les images formées dans
la
chambre noire, il faut des arrangements préliminaires pour disposer,
dans le foyer de l'objectif, le sujet à reproduire. Sans cela, comme il
arrive souvent dans les mauvaises photographies, les jambes du modèle paraîtraient
disproportionnées à sa tête et ainsi du reste. De même,
nous avons d'abord à disposer nos phrases et à imprimer, dans notre
esprit, chaque lettre qui doit paraîitre sur le papier avant qu'elle puisse
être lue. Pour le moment, c'est
tout ce que je peux vous dire. Quand
la science sera mieux instruite des mystères du lithophyle ou litho-biblion
et saura comment se font les empreintes de feuilles sur les pierres, je
pourrai vous faire mieux comprendre le procédé. Mais sachez et rappelez-vous
une chose, nous ne faisons que suivre et copier servilement la nature dans ses
uvres... »
Dans une autre lettre, K. H. s'étend plus longuement
sur la difficulté de rendre les explications
occultes intelligibles aux
esprits imbus des principes de la science moderne.
« Ce n'est qu'après avoir progressé dans
la connaissance des
arcanes de l'occultisme par l'étude préliminaire
de ses rudiments, qu'on petit arriver à nous comprendre. Seulement ainsi
et pas autrement se fortifient et s'affinent ces liens mystérieux de sympathie
entre les hommes intelligents fragments temporairement isolés de
l'
âme universelle et de l'
âme cosmique elle-même. Sympathie
qui les met en pleine valeur. Ceci établi, alors seulement ces sympathies
éveillées serviront, en vérité, à rattacher
l'Homme au Passé, au Présent, au Futur. Je suis obligé de
me servir de ces termes. Le mot
européen scientifique manque pour exprimer
mon idée, définir la continuité d'énergie qui lie
ensemble le Cosmos matériel et le inonde immatériel, active les
perceptions de l'Homme et lui permet d'embrasser les choses de la matière
et de l'
esprit. Je me sens même irrité d'être forcé
d'user de ces trois expressions maladroites : Passé, Présent, Futur.
Misérables concepts des phases objectives du Tout subjectif, aussi insuffisants
que le serait une
hache pour ciseler avec délicatesse. Oh ! mon pauvre
ami déçu, que n'êtes-vous déjà assez avancé
sur le
sentier, pour que cette simple transmission d'idées ne soit
pas obstruée par les conditions de la matière et l'union de votre
esprit avec le nôtre empêchée par son incapacité acquise.
Telle est, malheureusement, la grossièreté héréditaire
créée par l'
esprit occidental, que les phrases mêmes qui traduisent
les pensées modernes se sont développées dans le sens matérialiste,
au point qu'il est devenu presque impossible, aux Occidentaux, de nous comprendre
et à nous d'exprimer dans leurs langues rien de ce qui concerne ce mécanisme
délicat, apparemment
idéal, du Cosmos
occulte. Jusqu'à un
certain point très limité, les
Européens peuvent acquérir
cette faculté par l'étude et la méditation, mais c'est tout.
Là est la barrière qui a, jusqu'ici, fait obstacle à la propagation
des vérités
théosophiques parmi les nations occidentales
et les a fait repousser comme inutiles et fantastiques par les philosophes occidentaux.
Comment pourrais-je vous enseigner à lire et écrire ou même
à comprendre un langage dont l'alphabet ou les mots intelligibles pour
vous ne sont pas encore inventés ? Comment expliquerait-on, à un
philosophe grec, contemporain de Ptolémée, s'il revenait à
la vie, les phénomènes de notre science électrique moderne
? Comment suppléer à l'hiatus qui existe entre les deux époques
au point de
vue des découvertes ? Les termes techniques ne seraient-ils
pas pour lui un inintelligible jargon, des sons sans valeur ; les instruments
et les appareils employés, de miraculeuses monstruosités ? Supposons,
pour un instant, que j'aie à vous décrire les lignes de ces radiations
colorées qui s'étendent au delà du spectre dit visible (radiations
invisibles à tous, sauf à un très petit nombre d'entre nous),
à vous expliquer comment nous pouvons retrouver dans l'espace l'une quelconque
de ces
couleurs dénommées subjectives ou
accidentelles qui, en
outre, sont (en langage mathématique)
le complément d'une
couleur donnée d'un corps dichromatique (ce qui semble déjà
une absurdité) ; pourrez-vous comprendre, pensez-vous, leur effet optique
ou même ce que je veux dire ? Et puisque vous ne les voyez pas ces
rayons que vous ne les connaissez pas et que votre science même n'a
pas de noms pour les désigner, si je vous disais : « Sans quitter
votre pupitre, efforcez-vous de chercher et de produire, devant vos yeux, la totalité
du spectre solaire, décomposé en quatorze
couleurs prismatiques
(dont sept sont des complémentaires),
c'est seulement avec le secours
de cette lumière occulte que vous pouvez me voir à distance, comme
moi je vous vois ». Quelle serait votre réponse ? Vous répliqueriez,
c'est probable, qu'il n'y a jamais eu que sept (maintenant trois)
couleurs primitives
qui, de plus, n'ont jamais, par un procédé physique connu, quel
qu'il soit, pu être décomposées au delà des sept teintes
données par le prisme, et que ma proposition est aussi absurde que peu
scientifique. Vous ajouteriez que mon invitation à chercher un complément
imaginaire du spectre solaire, ne fait pas l'éloge de votre connaissance
de la physique. Je ferais mieux, peut-être, d'aller au Tibet pour y chercher
mes
couples mythiques bicolores solaires, car, jusqu'ici la science moderne
s'est montrée incapable de rattacher à aucune de ses théories
même un phénomène aussi simple que les
couleurs de tous ces
corps dichromatiques. Cependant, en vérité, ces
couleurs sont bien
assez objectives ! Vous voyez quelles sont, dans votre situation, les insurmontables
difficultés qui vous empêchent d'atteindre, non à la connaissance
absolue, mais aux premiers
éléments de la science
occulte.
Comment vous feriez-vous comprendre de ces
Forces semi-intelligentes, qu'il s'agit
en fait de commander et dont les moyens de communication, avec nous, ne
sont pas les mots parlés mais les vibrations corrélatives aux sons
et aux
couleurs, car le son, la lumière, la
couleur, sont les principaux
facteurs dans la formation de ces catégories d'intelligences, de ces êtres
dont vous ne pouvez même pas concevoir l'existence. Il ne vous est pas permis
d'y croire, car Athées ou Chrétiens, Matérialistes ou Spiritualistes, opposent, tous, leurs arguments respectifs à cette croyance, et la science renchérit, plus fortement qu'aucun, contre une telle superstition.
Ainsi, parce qu'on ne peut d'un bond atteindre aux pinacles
de l'Eternité, parce que
nous ne pouvons pas prendre un sauvage
de l'Afrique centrale, et lui faire comprendre instantanément les
Principes
de Newton ou la
Sociologie d'Herbert Spencer ; ou mettre un
enfant illettré
en état d'écrire une nouvelle
Illiade en grec archaïque, ou un peintre en mesure de représenter des scènes de
Saturne ou de dessiner les habitants d'Arcturus,
à cause de tout cela notre existence même est niée. Oui, pour ces raisons, ceux
qui croient en nous sont déclarés imposteurs et fous, et on dénonce
comme la fugue d'une imagination délirante la Science qui mène au
but le plus élevé de la plus haute connaissance, qui fait, en vérité, goûter à l'
arbre de Vie et de Sagesse. »
Le passage suivant se trouve dans une autre lettre, mais il vient assez bien à sa place après l'extrait qui précède :
« Les vérités et les mystères de l'occultisme constituent vraiment un ensemble de la plus haute importance spirituelle,
à la fois profond et utile, pour le monde entier. Aussi ne vous les donnons-nous
pas pour augmenter la masse indigeste des théories et des spéculations,
mais bien à cause de leur portée pratique au point de
vue des intérêts
du genre humain. On a jusqu'ici employé dans un sens très élastique
et très vague les termes : anti-scientifique, impossible, hallucination,
imposture, faisant ainsi passer les phénomènes
occultes soit pour
quelque chose de mystérieux ou d'anormal, soit pour de la duperie préméditée.
Et c'est ce qui a déterminé nos chefs à répandre dans
quelques
esprits une plus grande lumière sur la question et à montrer
que derrière les manifestations de l'occultisme on retrouve des lois, tout
comme derrière les phénomènes les plus simples de l'univers
physique. Les
esprits forts disent : « L'âge des miracles est passé
» ; nous répondons : « Il n'a jamais existé ».
Il faut que ces phénomènes, qui d'ailleurs ont déjà
joué leur rôle dans l'
histoire universelle, se manifestent, et ils
se manifesteront, apportant une
influence victorieuse dans le monde des sceptiques
et des bigots. Ils
doivent apparaître à la fois en destructeurs
et en constructeurs destructeurs des erreurs pernicieuses du passé,
des vieilles croyances et des superstitutions qui, comme la plante mexicaine,
étouffent presque tout le genre humain sous leurs baisers empoisonnés
; mais constructeurs de nouvelles institutions, d'une vraie et utile fraternité
humaine dont tous les membres deviendront des coopérateurs de la nature
et travailleront au bien de l'humanité,
avec et
par les
Esprits
Planétaires supérieurs, les seuls
esprits auxquels nous croyions.
»
Voici quelques lignes de K. H. dans une lettre qui ne m'était
pas adressée. Elles s'insèrent à propos dans cette série
d'extraits :
« Quoi qu'il en soit, nous sommes contents de vivre,
comme nous le faisons, inconnus, à l'abri des atteintes d'une civilisation
qui s'appuie trop exclusivement sur l'intellect. La
résurrection de notre
art ancien et de notre haute civilisation ne nous inquiète en aucune façon.
Nous sommes certains de leur retour en temps voulu et sous une forme supérieure,
tout comme pour le Plésiosaure et le Mégatérium. Nous avons
la faiblesse de croire à la continuelle périodicité des cycles,
et nous espérons activer le réveil de ce qui est passé. Nous
ne pourrions pas l'empêcher, si nous le voulions. La nouvelle civilisation
sera l'
enfant de l'ancienne, et nous n'avons qu'à laisser la Loi Eternelle
suivre son propre cours pour que nos morts sortent de leurs tombeaux. Néanmoins
nous sommes anxieux de hâter la venue de cet heureux état de choses.
Quoique « nous nous accrochions superstitieusement aux débris du
passé », ne craignez tien, notre connaissance ne disparaîtra
pas aux yeux des hommes. Elle est « le don des
dieux », et la plus
précieuse de toutes les
reliques. Ce n'est pas en vain que
les Gardiens
de la lumière sacrée ont traversé tant d'âges avec
sécurité. Ils n'échoueront pas sur les récifs du scepticisme
moderne. Nos pilotes sont trop expérimentés pour qu'il nous soit
permis de craindre un pareil désastre. Nous trouverons toujours des volontaires
pour remplacer les sentinelles fatiguées et le monde, si mauvaise que soit
la période transitoire qu'il traverse, peut encore nous fournir quelques
hommes de temps à autre. »
Revenant à ma propre correspondance et à la
dernière lettre reçue de K. H. avant de quitter l'Inde pour un voyage
dans mon pays voyage au cours duquel j'écris ces pages je
lis :
« J'espère que
vous, au moins, comprenez que nous (ou le plus grand nombre d'entre nous) sommes loin d'être les momies sans cur, moralement desséchées qu'on imagine Mejnour
(10) est fort bien là où il est caractère fictif d'une
histoire saisissante et vraie à bien des égards. Cependant, croyez-moi,
peu d'entre nous voudraient jouer dans la vie le rôle d'une
fleur conservée
entre les feuillets d'un volume de solennelle
poésie. Nous pouvons ne pas
être tout à fait « les gars », selon l'irrévérencieuse expression de... quand il parle de nous, mais aucun de ceux de
notre degré ne ressemble au rigide héros du roman de Bulwer. Les facilités d'observation qui sont assurées à quelques-uns d'entre nous, par notre condition, nous donnent certainement une
vue plus étendue, des sentiments d'humanité plus complets, plus impartiaux, plus larges et, pour répondre à Addison, nous pouvons
justement soutenir que
c'est « l'affaire de
la magie » d'humaniser nos natures par « la
compassion » pour l'humanité entière et tous les êtres vivants, au lieu de limiter nos affections en les concentrant sur
une race préférée. Pourtant peu d'entre nous (sauf ceux qui
sont parvenus à la négation finale de Moksha) arrivent à
s'affranchir de l'
influence de nos relations terrestres au point d'être
inaccessibles à différents degrés, aux plaisirs les plus
élevés, aux émotions et aux intérêts du courant
humain. Naturellement cette sensibilité partielle diminue en raison de
la rapidité des progrès vers la délivrance jusqu'à
ce que les sentiments humains purement individuels, personnels, les liens du sang
et de l'amitié, le
patriotisme et les prédilections de race disparaissent
pour se confondre dans un sentiments universel, le seul vrai et saint, couronnement
de l'édifice, le seul altruiste et éternel, l'
Amour,
amour immense
pour l'humanité tout entière. Car c'est l'humanité qui est
le grand orphelin, le seul déshérité sur la terre, mon ami.
Et il est du devoir de chaque homme capable d'impulsion désintéressée de faire quelque chose, si peu que ce soit, pour son bien-être. Cela me
rappelle la vieille
fable de la guerre entre le
corps et ses membres ; ici aussi,
chaque membre de ce gigantesque
orphelin sans père ni mère,
s'occupe égoïstement de soi seul. Le
corps, négligé,
souffre éternellement, que ses membres soient en paix ou en guerre. Ses
souffrances et son agonie ne cessent jamais ; et qui peut le blâmer comme
le font vos philosophes matérialistes si, dans cet éternel isolement
et cet abandon il a donné naissance à des
dieux vers qui «
il crie toujours à l'aide, mais sans être entendu ». Ainsi :
« Puisqu'il n'y a d'espoir pour l'homme qu'en l'homme
Je ne voudrais laisser pleurer personne que je puisse sauver. »
Je
confesse que personnellement je ne suis pas encore libéré de quelques attaches terrestres. Je suis encore attiré vers certains hommes de préférence à d'autres et la
philanthropie telle qu'elle est prêchée par notre Grand Patron
« Le Sauveur du monde,
Qui enseigna le Nirvana et la Loi. »
n'a jamais tué en moi les prédilections individuelles d'amitié,
l'
amour pour mes proches, ni un ardent sentiment de
patriotisme pour le pays dans
lequel j'ai été, en dernier lieu, individuellement matérialisé. »
J'avais demandé à K. H. jusqu'à quel
point j'étais libre de me servir de ses lettres dans la rédaction
du présent volume et quelques lignes après le passage qui vient
d'être cité, il déclarait :
« Je ne vous impose pas de restrictions. Vous pouvez
vous servir de ce que j'ai écrit à vous ou à M., ayant pleine
confiance en votre tact et votre
jugement pour décider ce qui doit être
publié et comment le présenter. Je dois seulement vous demander...
» et il poursuivait en indiquant une lettre qu'il désirait ne pas être
publiée. « Quant au reste, je l'abandonne à la dent féroce
de la critique. »
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(9) Périodes cycliques. (N. du T.)
(10) Personnage d'un roman :
Zanoni, de Bulwer Lytton. (N. du T.)